A la fin de l’année 1938 Alfa Roméo décida de "liquider" la Scudéria Ferrari pour mettre en place ‘Alfa Corse’ sous la direction de Wilfredo Ricart. Enzo Ferrari resta encore chez Alfa quelque temps mais ne supportant pas d’être sous la direction de Ricart il quitte Alfa à la fin de 1938. Lié par son accord de non concurrence, Enzo Ferrari retourna à Modène pour y installer uniquement son activité de Machines-outils.
Cette activité est loin de ses désirs de compétition automobile et la construction de voiture lui est interdit. Pourtant il a toujours ses entrées chez Alfa et ses allées et venues sont fréquentes.
Le châssis de cette Alfa 8C porte le numéro 813392, il est sorti à une date qui coïncide avec le départ d’Enzo Ferrari de chez Alfa. Ce châssis fait partie des 6 dernières constructions sur les 188 chassis constuits. Tous les châssis (excepté le N° 813392) sont répertoriés avec le numéro de moteur et de boite installés, ainsi que le type de carrosserie, enfin une dernière indication mentionnait aussi le nom du propriètaire, mais aucun détail ne concerne le N° 813392.
Alfa Roméo ne construisit que 10 ‘Monza’ mais à la fin des années 30, on en comptait plus de vingt en existence. Les dix supplémentaires (ou douze), il est bien connu, ont été faites par Ferrari à partir de différents châssis longs ou courts, coupés et raccourcis ou sinon modifiés avant de recevoir une carrosserie du type Monza replica.
Maintenant que Enzo avait retrouvé la Scudéria Ferrari, il devait avoir des idées pour assembler à nouveau quelques voitures. Il savait que les Alfa Grand Prix utilisaient les éléments de suspensions indépendantes de la 6C 2300B, alors pourquoi ne pas commander un de ces châssis roulants pour y mettre un 8C2600 à compresseur et ainsi créer une voiture très intéressante. Ce châssis devait être plus court, surbaissé et possédait des freins hydrauliques à tambours afin de satisfaire la nouvelle tendance de mettre des roues de 16’’ recouvrant les tambours.
Voilà un projet qui devait être très excitant avec un ‘produit fini’ plus joli et surbaissé que la 8C 2900B ‘Botticelli’. Après tout, Ferrari avait Enrico Nardi à ses cotés, et il avait du l’orienter vers cette voie vue qu’après la guerre il utilisa des châssis 6C 2500 pour construire les voiture Nardi-Danese.
Le châssis de cette voiture, identique à ceux utilisés sur les modèles Pescara ou Mille Mille n’est pas rentré dans les chaînes de production et aucun enregistrements ne mentionnent ce châssis chez Alfa. Fusi déclara à l’actuel propriétaire que ce châssis dû être vendu comme pièce détachée.
Il a été ‘très professionnellement raccourci de 3.0m à 2.4m. Un grand nombre d’éléments sur cette voiture semblent être des pièces compétition d’origine Alfa. Il se peut que ces pièces viennent de projets alors abandonnés et laissés sur les étagères. Le moteur est un 2.3 transformé en 2.6 litres, l’alésage a été augmenté de 65mm à 68,5 mm. Le numéro d’assemblage du moteur est 76, est un taux de compression de 7.5 à 1 à été utilisé. Des soupapes d’admission et d’échappement plus grosses ont été montées. Une pipe d’échappement spéciale fut installée et estampillée aR [Alfa Roméo]. Le moteur est alimenté par un Weber spécial dont la référence DCF 1 Tipo 36 18C indique qu’il fut spécialement réalisé pour les voitures de la Scudéria Ferrari. 2 pompes à essences électriques alimentent ce carburateur très particulier. (DCF pour Doppo Corpo Ferrari)
L’allumeur fut repositionné à l’arrière de la boite à came, comme sur les 6C 2300B afin de surbaisser l’allumeur Bosch. Le passe fil de bougie provient très certainement d’une 8C 2900B. L’huile du moteur passe dans un radiateur fait spécialement par Radiatore Colini et installé sous le radiateur d’eau. Le réservoir d’huile (provenant d’une Monza) présente la particularité d’avoir des tubes de refroidissement comme sur les voitures destinées à courir sous des climats chauds. Le volant est un Grand Prix ‘ 4 branches’ estampillé aR. Les sièges ressemblent à ceux utilisés dans les monoplaces Alfa. Le réservoir d’essence monté entre les rails de châssis et du même type que celui utilisé sur les 2,9 ‘Botticelli’ pour les Mille Miglia.
La couronne et le pignon d’attaque ont un ratio de 3,86 pour 1, et marqué aR. Ce ratio n’apparaît pas dans la liste des ratios du catalogue de pièces détachées. Les roues installées sur la voiture étaient des 18’’ Borranni à l’arrière et des 16’’ à l’avant. Aucune barre de torsion n’a été installée mais des ressorts hélicoïdaux ajustables avec des amortisseurs télescopiques. La suspension avant est du type modifié comme sur l’Alfa Bimoteur.
Les bouchons des réservoirs d’huile et d’essence sont percés afin de recevoir des plombs lors des courses.
Lorsque la voiture arriva de nombreux plombs étaient encore en place et la carrosserie avait encore un numéro 36 dessus. La grille de radiateur était en mauvais état mais identique à celle utilisée sur La Grand Premio Tipo 12C de 1937. La plaque du moteur fut enlevée, mais le numéro de vilebrequin était #2221186, ce qui correspond à une voiture vendue à M. J. Mashek Junior de Chicago en 1933 selon Luigi Fusi.
La voiture arrive en 1967 d’Asmara en en Angleterre, et est en assez mauvais état. Le dernier propriétaire achète la voiture en 1969, on lui a dit que la voiture fut assemblée pour un certain Roméo Paola pour courir lors de l’édition de 1940 de la course Tripoli-Tobruck, Paola était un agent de liaison entre Alfa et les militaires en Abyssinie, mais pour des raisons militaires il ne put se rendre à la Course de Tripoli-Tobruck. Ceci peut renforcer l’histoire de la voiture car la course était réservée aux voitures sans compresseur et parmi les pièces retrouvées avec la voiture se trouvait un jeu de pipes d’admission spéciales pour monter 4 carburateurs sur le moteur 8C, ces pipes étaient toutes frappées aR.
N’oublions pas qu’a la même époque Ferrari construisait la 815 aussi en secret…En 1971, le propriétaire fut invité à courir la Coppa Monza, malheureusement la voiture n’était pas tout à fait restaurée et il engagea alors son trois roues Morgan. Lors d’un repas, il demanda aux personnes présentes si l’une d’entre elle connaissait un certain Roméo Paola. Lurani et Guidotti répondirent qu’il vivait toujours à Asmara, mais qu’il était vieux et que sa mémoire défaillait. Ils donnèrent son adresse, mais les deux lettres que le propriétaire lui a adressées restèrent sans réponse. Durant ce même repas, il fit passer quelques photos autour de la table. Ces photos suscitèrent une forte animation, de nombreux chuchotements et malgré la barrière de la langue il comprit que le secret était toujours de mise autour de cette voiture.
RESTAURATION:
Lors du sablage du châssis, d’autres numéros furent révélés, il était frappé ‘professionnellement’ V833522. Personne ne semble savoir à quoi cela correspond. Fusi rechercha parmi les archives Alfa et cela ne semble pas être un numéro Alfa.
Fusi se montra très enthousiaste durant la reconstruction de la voiture, et durant les trois ans, il échangea avec le propriétaire des dizaines de lettres et il envoya plus d’une centaine de dessins appartenants à la voiture. La plupart étaient dessinés par Fusi, et la qualité des dessins est impressionnante.
Fusi et Ferrari étaient amis depuis 1921. Aucune des lettres ne mentionna jamais où la voiture fut construite. Il envoya des dessins de la carrosserie mais n’indiqua jamais où la voiture fut montée ! Il est connu de manière universelle que le pouvoir de conviction d’Enzo était très forte… Beaucoup le craignait et même en 1970, personne n’osait parler. Le propriétaire essaya d’écrire à Ferrari, mais la plupart de ces lettres revenaient avec la mention : tous les archives de cette période ont été perdues. La restauration commença par le châssis, et les trains roulants. L’ancien propriétaire de la voiture avait posé une option de rachat de la voiture tant il pensait que son nouveau propriétaire se découragerait. En fait Peter Giddings (bien connu dans le monde des Alfa 8C), avait vendu cette 8C spéciale à M. Rainey sans conviction qu’il arrive à la faire rouler. Bien déterminé à tout faire lui-même, M. Rainey n’avait pas la crédibilité d’être à la hauteur et M. Giddings ne lui adressa pas la parole pendant deux ans. Seul, M. Rainey découvre sa voiture…En fait, à la recherche d’une voiture de course, cet australien installé en Angleterre, ne pouvait se permettre l’achat d’une Bugatti. Il se mit donc en quête d’une Alfa.. et après quelques recherches il trouva cette voiture qui dormait dans un garage à proximité d’une Alfa.
Le Châssis arrivé en Angleterre attend une bonne restauration.
Une fois le châssis terminé, une opportunité se présente à lui… une personne de son entourage recherche quelqu’un pour un voyage à Milan afin d’y livrer une Delage DI de 1928. Ne pouvant s’y rendre, M. Rainey donne quelques photos de sa voiture à un ami. Le convoyeur de la Delage connaissait bien Fusi et il était entendu que si l’occasion se présentait, il lui donnerait l’enveloppe contenant les photos. Rainey avait déjà tenté de rentrer en contact tout seul avec Fusi, mais ses lettres étaient restées sans réponses. A la vue des photos, Fusi s’anime et dit qu’il n’avait pas jamais revu cette ‘Alfa’ construite en Italie avant guerre. Fusi, alors responsable de la constitution du musée Alfa était très intéressé par ces photos. Il demanda un instant à ses visiteurs leur demandant s’ils étaient pressés. Ils l’étaient, mais quand bien même, Fusi venait de décider qu’ils leur prêteraient une Alfa pour regagner l’aéroport. Il disparut un instant et revint avec une caisse de ‘bleu d’époque’ concernant la voiture. Ce fut ainsi le premier échange d’une collaboration qui dura près de 4 ans. Ensuite, Fusi allait prendre sa retraite et demanda à Rainey quels étaient les plans dont il pouvait avoir besoin. Rainey ne voulant le dérangeait plus encore, lui fit apporter un très beau tableau de Lionel Rouse avec la Monza de Nuvolari peinte lors du Grand Prix de Monaco 1932. En fait, il était sûr que le travail commencé par Fusi serait poursuivit. Malheureusement, lorsque deux ans plus tard, il eut besoin des plans de couronne de pont et qu’il écrivit à la senora qui remplaçait Fusi avec la demande du plan N°…. elle lui répondit que ces archives avaient été détruites pendant la guerre.
La collaboration avec Fusi sera essentielle lors de la reconstruction du moteur et de la carrosserie. La carrosserie d’origine était en très mauvais état, et le voyage dans le container pour l’Angleterre ne l’avait pas arrangé. La carrosserie, mal calée, durant le transport avait voyagé ici et là dans le container, et les formes originales de la voiture étaient difficiles à percevoir. Les plans fournis par Fusi fut alors d’une grande aide et la décision fut prise de demander à Fred et Alex chez Robert Peel Sheet Metal Works, Portsmouth Road à Kingston upon Thames de refaire une carrosserie la plus conforme possible à ce que devait être la voiture à l’époque.
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